Laurent : D’après le dernier baromètre Empreinte humaine de novembre 2011, la détresse psychologique « reste à des niveaux préoccupants », avec un « taux de dépression nécessitant un traitement » évalué à 33% des salariés français. La souffrance au travail reste une réalité, et on constate un nombre non négligeable de syndrome d’épuisement professionnel, brown-out, bore-out, harcèlements, etc… Pour faire face à cela, une piste récurrente est le financement par l’employeur d’une psychothérapie pour le salarié.

Gaëlle, tu es consultante RH – psychologue du travail, qu’en penses-tu ?

Gaëlle : Je ne pense pas que la place du psy / de la thérapie soit la problématique de l’entreprise, même si c’est le fonctionnement de l’entreprise qui peut poser problème et générer un mal-être.

Le principal risque que j’y vois est que la thérapie serve alors de caution morale à l’entreprise pour éviter la remise en question de son fonctionnement.

Le second risque est lié à la question de « Qui fait la demande ». Si c’est le salarié, et que l’entreprise accepte la confidentialité de la thérapie, alors cela pourrait s’envisager. Si c’est un membre de l’équipe encadrante ou des collègues qui suggèrent une thérapie pour Monsieur X ou Madame Y, alors ce n’est pas acceptable.

Et toi, Laurent, tu es coach et praticien narratif, quel est ton regard là-dessus ?

Laurent : Je ne suis pas convaincu non plus qu’une psychothérapie financée par l’employeur soit une réponse adaptée, pour plusieurs raisons.

C’est d’abord à mes yeux une question de confidentialité : à la différence du coaching, un « compte-rendu » final ne me semble guère éthique ! En coaching, on travaille sur le développement de compétences professionnelles, donc l’idée d’un bilan tripartite de clôture sur ces items-là peut s’entendre, mais en thérapie…

Ensuite, il y a des aspects très pratiques : pour quelle durée, sachant qu’on ne sait pas combien de temps va durer une thérapie ? Et donc, quelle hauteur de financement ?

Et enfin, s’engager en thérapie est une démarche tellement personnelle, que ce soit sur le moment où on le décide et sur le choix du praticien qui va nous accompagner, que je ne vois pas comment ça peut s’articuler avec les RH… Il existe déjà le recours possible à la Médecine du Travail ou au CHSCT si le salarié a besoin d’exprimer un mal-être.

Gaëlle : Oui, et un des rôles des organisations est de faciliter l’information de l’ensemble des salariés sur ces dispositifs souvent mal connus et donc mobilisés en dernier recours, parfois un peu trop tardivement. Prenons un exemple : à la suite d’un audit de climat social, il ressort que certains salariés ressentent une forte détresse et se sentent abandonnés par leur entreprise. Une des solutions envisagées a été de proposer une cellule d’écoute psychologique, pour permettre aux salariés qui le souhaitent d’exprimer à un tiers extérieur leurs difficultés. Dans ce cas, le psychologue écoutant peut apporter un éclairage sur ce que la personne vit, sur ce qui relève de l’entreprise (organisation du travail, prise en compte de la pénibilité du poste, etc…) et sur ce que cela lui fait vivre. A cette occasion, si la souffrance prend trop de place, la thérapie peut être conseillée au salarié pour enclencher un travail sur soi, en dehors de sa structure. Pour aider le salarié, une des possibilités est que l’entreprise finance une mutuelle qui propose des remboursements de séances de thérapie. Cela permet à chacun de mobiliser ou non cet espace, avec une garantie de confidentialité, puisque la mutuelle est commune pour tous.

Laurent : C’est bien la question de la confidentialité qui me paraît centrale… A la limite, ce qui pourrait rendre envisageable l’idée qu’une thérapie souhaitée par un collaborateur soit financée par l’employeur serait que celui-ci ne soit pas destinataire du bilan final… Qu’il considère en quelque sorte la thérapie comme un outil qui améliore le bien-être et donc la performance de son salarié, mais « indirectement » et sans preuve de lien entre les deux. C’est déjà le cas lorsqu’il finance par exemple des massages, des méditations entre 12h & 14h, une crèche interne, ou d’autres opérations suggérées par le service RH.

Gaëlle : Oui, mais cela ne suffirait pas, voire cela pourrait déculpabiliser l’entreprise dans sa part de responsabilité. Prenons l’exemple d’une personne ayant vécu un Syndrome d’Epuisement Professionnel (Burn-out). Elle décide de faire un travail de thérapie, avance dans son cheminement personnel et trouve des solutions. On sait que si elle revient alors dans le même environnement délétère, avec des conditions de travail qui n’ont pas changé, le risque qu’elle soit de nouveau en souffrance psychique n’est pas négligeable. La thérapie individuelle n’est donc pas une solution suffisante dans ce genre de problématique.

Laurent : A défaut de financer une thérapie, l’employeur peut a minima développer tout ce qui fait Sens, car c’est ce qui prémunit le mieux contre la souffrance au travail. En donnant du corps aux « critères de motivation » que révèlent toutes les études sur le sujet : l’autonomie, le besoin de maîtrise (sentiment de bien faire son travail et de progresser), le sentiment d’utilité, l’égalité (être traité comme les autres), et les relations avec les collègues et la hiérarchie.

Gaëlle : La place du sens est primordiale, ainsi que celle des facteurs de reconnaissance, qui sont aussi des contributions utiles pour la santé au travail. J’en entends souvent parler en bilan de compétences, lorsque les personnes accompagnées évoquent des problèmes de santé au travail, la perte de sens est un des facteurs centraux. Le bilan de compétences permet ainsi, en prenant conscience de ce facteur de reconnaissance, d’amorcer une démarche de changement, en tenant compte de ce qui est important pour soi.

Laurent : Le sens et la reconnaissance sont aussi récurrents dans les histoires que j’entends en entretien de coaching. D’ailleurs, je pense que ce qui relie coaching et thérapie est plus important que ce qui les sépare. Le courant dit « intégratif » et l’étude des facteurs communs de la relation d’accompagnement (Lambert & al, 1986) vont dans ce sens. Comme disait Carl Rogers, « Ce qui soigne, c’est la relation ».

Non que le coach puisse remplacer le thérapeute, mais lui aussi peut accueillir la souffrance, même si l’objectif n’est pas de la « soigner ». Et il s’autorise également à recommander le recours à la psychothérapie, si cela émerge et s’il juge qu’il n’est pas compétent pour aider le client, comme ça se fait déjà dans la pratique. Et réciproquement d’ailleurs, des thérapeutes recommandent pour les mêmes raisons des coaches.

Gaëlle : Des pistes de mise en œuvre de thérapie individuelle peuvent aussi découler d’entretiens en BC.

Je te rejoins, nous sommes des professionnels de la relation d’aide, chacun y a sa juste place. Ce qui est important, c’est que nous soyons au clair avec les limites de nos interventions respectives pour le bénéfice de la personne accompagnée.

Gaëlle Gard & Laurent Rizo

ABCarrières, nov 2021